Mais où est Lucky?
- Sebastien Recotillon
- 10 mars 2016
- 12 min de lecture

Cette aventure se déroule pendant que je voyageais avec une troupe de théâtre. Nous étions un groupe de 8 personnes, avec parité de genre, représentant 8 nationalités : français, italien, espagnol, basque, anglais, irlandais, israélien, autrichien. Tous unis par l’envie de faire la route à la roots, avec le sac sur les épaules et sans chaussures. L’envie de ne pas entrer dans le moule, ne pas courir après l’argent, la position sociale et le confort matériel mais à la place, Vivre la Vie, pleinement. Affirmer et représenter notre croyance que le bonheur n’est pas une destination mais une façon de voyager ! Etre heureux n’est pas un résultat mais une attitude!
L’idée de cette aventure est née dans le sud de la France, lors d’un « rainbow gathering », sorte de grand rassemblement hippy, mais notre troupe ne s’est complétée que plus tard. Notamment avec Lucky, le petit fox-terrier, qui nous a rejoint en cours de route. Ses propriétaires devaient partir en voyage en Inde et nous l’ont laissé en pension pour 2 mois. Il devenait donc naturellement la mascotte du groupe.
Nous avions monté un spectacle mélangeant cirque, art du feu et musique de troubadour, pour le jouer dans les festivals ou bien dans la rue. On ne peut pas dire que l’on travaillait beaucoup, peut être 2heures par jour ? Juste le nécessaire pour payer la nourriture et les autres frais accessoires. Par contre, qu’est ce qu’on rigolait ! Ne pas trop travailler certes, mais pratiquer l’art de la joie a chaque instant. Autant que possible, nos escales se faisaient sur des plages désertes ou dans des réserves naturelles. On dormait à la belle étoiles et passait nos journées à jouer de la musique, rire, se baigner et partager le moment présent.
Nous avons commencé les spectacles à Barcelone, remonté le long de la côte française, jusqu'à la frontière italienne. Nous avancions lentement, majoritairement à pied ou en autostop, en direction de Florence.
L’épisode que je m’apprête à vous conter se déroule à Ventimiglia, petite ville frontalière entre l’Italie et la France. Nous pensions y faire une courte halte, mais comme le dit le proverbe : si tu veux faire rire Dieu, raconte lui tes projets !
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A peine arrivé, après un court passage par la douane (mais c’est la encore toute une autre histoire), nous partons à deux pour une mission « épicerie », prenant avec nous Lucky pour lui dégourdir les pattes. Pendant ce temps, les autres restent vers la gare à flâner au soleil, jouer de la musique et manger des sucres trempés dans l’absinthe.
Magasin de quartier rapidement trouvé, attacher Lucky à un poteau le temps de faire les courses. Du pain, des tomates et du fromage, tout ce qu’il nous faut pour les sandwichs avant de reprendre la route vers « Cinque Terre ». Le tout est fait en moins de 10minutes. On sort pour retourner vers la gare… surprise :
mais où est Lucky ?
Il n’est plus au poteau. Pourtant, en plus de ne pas avoir tendance à se sauver, la laisse était bien attachée ! Comment est ce possible ? Où est il ?
Scruter l’horizon, aucun signe de lui. Accélération cardiaque, seconde de panique. On se sépare pour chercher les alentours, rendez vous dans 10minutes à la gare, avec Lucky bien entendu ! Une demi heure plus tard, pas de trace du chien. Le groupe se concerte puis on se lance dans des recherches plus étendues.
A la tombé de la nuit, toujours rien. On ne peut rien faire dans le noir, il faudra continuer demain. Nous trouvons un train plus ou moins abandonné, un wagon marchandise, le parfait endroit pour dormir ! Je dois dire que ce coté vagabond à quelque chose d’attirant, d’excitant.
Dès le réveil, les recherches reprennent. Certains arpentent les rues, d’autres font des affiches de recherche, les derniers restent à la gare, notre Quartier General. Je pars vers le chenil au cas où il aurait été retrouvé. En vain.
La journée passe sans aucun résultat, tout comme les 4 jours suivant. On continue en collant des affiches dans les rues, aller chaque jour au chenil pour vérifier, demander aux commerçants, … mais peu à peu, le groupe commence à perdre espoir et patience.
Ventimiglia n’est vraiment pas l’endroit rêvé pour y passer une semaine, surtout pour 8 gypsy errants. Si le wagon désinfecté nous a plu le 1er soir, ce n’est plus du tout le cas après 5 nuits.
Au 5ème matin, tensions dans l’air, ras le bol généralisé. L’idée, l’envie de reprendre la route est de plus en plus présente mais en même temps, la simple question est en soi un tabou. Pour certains cela est envisagé, pour d’autres, pas question sans Lucky. Cela créé une division dans notre « happy hippy family ». Je n’aime pas cette ambiance, ces non-dits. Que faire ?
Assis à la terrasse d’un café, tout seul, besoin de m’isoler un moment, je constate la situation. Jusqu’à présent, l’aventure avait été remplie de magie, de coup de pouce du destin... Pourquoi étions nous maintenant bloqués ici depuis près d’une semaine ?
A cette période, je lisais un livre, sorte de conte initiatique, qui semblait en interaction avec ma vie. Au fur et a mesure qu’il y était mentionné quelque chose, coïncidence intéressante, je le vivais presque dans l’instant suivant. Tout ce que je lisais devenait ainsi une expérience directe. Il se trouvait que depuis notre arrivé à Ventimiglia, je n’arrivais pas à le finir. Il ne restait pourtant qu’un seul chapitre, mais dès que je me mettais à le lire, j’étais dérangé. Ce n’était pourtant pas faute d’avoir essayé.
Sur la table du café, à côté de mon journal de bord, il y a ce livre.
- pourquoi je ne peux pas le finir ?
Bien conscient du lien mystique entre ce que je vis et ce qui est écrit, je décide de relire le dernier chapitre pour voir où j’en suis. Celui ci parle de la foi, ou pensée positive si vous préférez. Le pouvoir créatif ou destructeur de ce qu’il y a dans nos têtes, dans nos croyances, mais aussi le lien entre le vu et le pensé. Il va plus loin encore en ajoutant la force du cœur, la foi inconditionnelle, où quand la pensée devient certitude. Si cette pensée positive est un bon outil accessible à tout amateur, la foi inconditionnelle en est la version pro. Alors que la première peut manifester diverses choses et faciliter la vie, la deuxième fait des miracles !
Je me rend compte que depuis le début de cette aventure, jusqu’à maintenant, mes pensées ont été vraiment positives, mais tout s’est tellement bien passé, que ma foi n’a jamais été questionnée ni même nécessaire en fait. Tout a été simple et naturel, tellement facile…
« Click », une nouvelle épiphanie ! Prise de conscience soudaine de la situation.
Nous sommes tous là, moi le premier, à espérer retrouver Lucky, ou plutôt, à vouloir qu’il revienne. Mais est ce que quelqu’un y croit vraiment ? Plus encore, est ce que quelqu’un provoque ce retour ? C’est comme si tout d’un coup, je prenais en compte ma part de responsabilité dans les évènements, le rôle que je joue dans la vie. Intégrer plus profondément la différence entre être spectateur et être acteur. Réaliser ma tendance à ne pas faire les choix, à les subir, en comparaison avec ma capacité active à créer ma vie, à la remodeler.
« C’est bon, leçon comprise ».
Je suis prêt à quitter Ventimiglia, ne manque plus que Lucky pour repartir, je vais donc le retrouver, et maintenant !
Plein de foi, sans le moindre doute je me suis levé, d’un pas décidé, j’ai commencé à marcher. Je ne suivais aucune direction précise ni aucune indication rationnelle. Marcher, le cœur ouvert, faire confiance, me laisser guider. A chaque croisement de rue, ne pas réfléchir, juste m’écouter un peu plus attentivement et simplement prendre la bonne direction.
Comment savoir laquelle est la bonne ?
C’est une histoire de confiance en sois, communément appelée foi. Savoir que au fond on sait et en même temps, accepter de ne pas savoir. C’est un subtile jeu d’équilibre au delà de ce qui semble être un paradoxe.
Dans un monde où le mental domine, la raison est règle. Il y est dur d’accepter ou même de concevoir l’idée de « savoir sans comprendre », car cela veut dire perdre le control. Du moins, c’est ce que l’on croit, c’est que l’on veut nous faire croire.
Pourtant, en chacun de nous, au delà du centre mental, il existe un autre centre de commande, beaucoup plus performant. C’est le centre du Cœur, infusé d’une sagesse divine et d’une connaissance dépassant de loin celle de l’ego individuel et limité. Malheureusement, à force de ne pas l’écouter on fini par ne plus l’entendre. Et heureusement, même si on ne l’écoute pas, elle ne cesse jamais de nous parler, c’est juste une histoire de lui redonner l’attention qu’elle mérite.
J’ai donc écouté cette voix, ma connexion éthérée avec le Divin. Pendant plus d’un quart d’heure, j’ai marché à l’aveuglette : gauche, droite ou tout droit, accepter de me perdre avec une totale confiance de ne pas être perdu. Comme le dit le petit Prince : On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux. Je suivais un itinéraire bien imperceptible à mes yeux, incompréhensible à ma tête et néanmoins, complètement réel et cohérent à mon cœur, conviction intime d’être sur le bon chemin.
Puis, à un angle de rue quelconque, je tourne à gauche, en plein virage, je tombe nez à nez avec une petite grand mère, dans ses bras : Lucky. Je le regarde, il me regarde, je la regarde, elle me regarde, il y a comme une « pause »… je ne suis pas réellement surpris, au fond, je n’avais pas de doute, mais j’ai quand même un certain émerveillement rempli de satisfaction. Je regarde la grand mère qui elle, se trouve très surprise. Elle balbutie quelque chose qui ressemble à des explications, elle est embarrassée. Je n’entends pas vraiment sa voix, je ne l’écoute pas, je me sens emplie de grâce. Je lui souri, tranquillement et sans dire un mot, je prend Lucky dans mes bras, elle reste hébétée. Je fais demi tour et reprend ma route direction la gare.
Ce n’est qu’une fois le groupe réuni, que cette joie explosa. Tous heureux de retrouver notre mascotte. Tous heureux de savoir que nous pouvions enfin partir d’ici et continuer la route vers de nouvelles aventures. Moment de célébration avant de remettre nos sacs sur les épaules. Retour à l’harmonie, disparition de toutes ces tensions au milieu des chants et des danses. Contentement, la joie de sentir de nouveau l’unité, la cohésion.
Quand l’effusion se calma, je restai très longtemps à contempler. Je me sentais tellement en paix, tellement en harmonie avec ma vie, avec la Vie.
J’étais détendu et détaché, sur le cœur un profond sentiment de gratitude, et sur le visage, un léger sourire, empli de sérénité.
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Combien de fois ai-je lu dans des livres des phrases du genre « tu es le maitre de ta vie », « choisi ton destin », « il faut écouter ton cœur », … combien de fois à me dire « oui, … mais ». C’est le genre d’idée que l’on accepte, qui nous plait et nous séduit tous, mais qui y croit vraiment ? Au delà d’une certaine acceptation philosophique, acquiescer mentalement, qui le vit et se le prouve? Qui y croit au point d’en faire sa réalité ? Spécialement quand tout ne va pas parfaitement…
Ce jour là, c’est ça qui a changé pour moi. Une simple idée attirante devenait un fait concret, ma réalité. Je venais de découvrir quelque chose qui allait changer ma vie. Il ne s’agit pas de magie ni de miracle. Pas non plus de foi religieuse qui assouvie tout mes désirs. Non, ce que j’ai découvert, c’est ma responsabilité dans la vie ! Dans ma vie ! J’ai découvert l’importance de savoir s’écouter et de faire des choix. Deux notions très importantes, si souvent manquantes ou superficielles.
[s1]
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Cette fois aussi, je vais conclure avec un petit exercice que je vous propose de faire.
A la question « quelle direction est la bonne ? », si la réponse est que, au fond, vous le savez, beaucoup diront « oui mais… ». Il est vrai que au début, ce n’est pas toujours facile et cette petite voix n’a pas forcement assez de force pour se faire entendre et encore moins pour se faire respecter. Je vous propose donc cet exercice simple et concret dans le but de la renforcer.
Apprendre à s’entendre
Prenez un moment pour vous, un moment où vous pouvez être seul, autant que possible sans téléphone ! Vous pouvez commencer en bas de chez vous ou bien dans un coin de nature qui vous inspire.
Commencez par faire une pause, prenez une profonde inspiration. Regardez en face, à gauche, à droite. Quelle direction vous inspire le plus ? Suivez la. Ne cherchez pas de certitudes ni de « signe », et si rien ne vous appelle, commencez au hasard. Ne laissez pas votre mental justifier ni choisir. Ne donnez pas de raison de prendre telle ou telle direction.
Marchez un peu plus lentement qu’a votre habitude, sans aucune destination ni logique. Vous n’allez nulle part!
A chaque croisement, essayer de sentir, tout simplement sentir.
Sentir quoi ? Sentir quelle direction vous appelle, quelle route/chemin vous incite le plus à sourire. Je sais que certain pensent : comment une route peut’elle m’inciter à sourire? La vérité, c’est que le bon choix est toujours celui qui créé ce sentiment de bonheur intérieur. C’est ici un exercice pour apprendre à reconnaître ce sentiment et à le suivre. Face à une route comme face à un choix dans la vie, il y a une direction qui « semble » être la bonne. Ce n’est pas une connaissance logique ni mentale, c’est bien plus subtil que ça. Si ce n’est pas toujours simple au début, avec un peu de pratique, cela devient évident.
Marchez pendant 10-15 minutes ou plus si vous voulez, il n’y a pas de limites. Notez ce sentiment de bien être et de satisfaction à chaque « bon choix ». Un bon choix n’est pas dans la direction prise, mais dans l’origine, la raison de cette décision. Remarquez aussi que parfois, il y a ce sentiment de savoir que là, on ne s’est pas écouté. Au prochain croisement, c’est une nouvelle occasion pour sentir et prendre la bonne direction. Le but, est d’apprendre à reconnaître les différentes impulsions et centres de décision.
La difficulté est dans notre habitude à presque toujours suivre la tête plutôt que le cœur, surtout si ils sont en désaccord. Pour cela, il est très important dans cet exercice de ne surtout pas se justifier : « je vais par là car… parce que… ». Il faut seulement marcher, se laisser guider. Ce n’est pas le mental qui choisit et d’ailleurs, on ne lui demande ni son avis ni son support ! Pour une fois, il va être simple spectateur et laisser le 1er rôle au cœur.
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J’ai pratiqué cet exercice pendant de longues marches, tellement de fois. En ville, en campagne, en foret, en montagne, …
Apprendre à ressentir ce quelque chose en moi qui sait où aller. Apprendre à entendre cette voix du cœur et lui donner assez de force pour pouvoir la suivre, même et surtout quand la tête n’est pas d’accord.
Puis j’ai continué à pratiquer au volant, c’est même devenu un moyen de me centrer. Quand j’avais du mal à faire un choix important, trop de voix dans ma tête pour m’entendre, je montais dans la voiture et je conduisais vers « la bonne direction ». Juste conduire, ne pas chercher à aller quelque part, et au bout d’un certain temps, je commençais de nouveau à m’entendre…
C’est ainsi que cet exercice c’est intégré dans ma vie et m’aide dans les décisions importantes comme dans les choix au quotidien ! Peu à peu, avec de l’entrainement, j’ai appris à entendre et reconnaître les différentes voix/voie, à savoir laquelle venait du cœur, et à la suivre.
Depuis maintenant plusieurs années, je fonctionne selon ce principe : le cœur sait mieux que le mental. Ce n’est pas toujours simple, je ne suis pas toujours soutenu par mon entourage et aujourd’hui encore, parfois je doute. Je me demande pourquoi je fais ce choix qui ne me semble pas logique, mais toujours au fond, je sais que c’est le bon. Ma tête essai de me faire changer d’avis pour prendre la décision rationnelle, celle qui apporte la sécurité de comprendre, de pouvoir analyser et calculer, le sentiment de savoir et de contrôler. Mon cœur reste calme et montre toujours la même direction, sans essayer de me convaincre. Je lui fais confiance, et après ces toutes années, mon expérience m’a prouvée à maintes et maintes reprises qu’il voit beaucoup plus loin et beaucoup plus clair que la tête !
Ceci dit, tout comme l’a conseillé le Boudha :
Ne me croyez pas, essayez et faites votre propre expérience !
[s1]A maintes reprises dans ma vie, j’avais attendu que le choix se fasse tout seul, ou bien je l’avais laissé entre les mains de quelqu’un d’autre. C’est vrai, c’est plus simple, choisir n’est pas toujours aisé, mais est ce vraiment la simplicité que je recherche ?
Depuis, je me dis souvent : pas de risques, pas de gloire !
A ne pas mal interpréter. Les risques ne sont pas des choix stupides pour l’amour du risque, mais le fait d’aller un peu au delà de la zone de confort pour entrer dans la zone où l’on se sent vivant.
Quant à la gloire, ce n’est pas ici de la gloire sociale dont je parle, mais de ce sentiment personnel d’être victorieux, le sentiment d’accomplissement.
Je me souviens tellement de fois avoir entendu des gens me dire :
- oui mais toi tu es chanceux, et puis il t’arrive toutes ces histoires !
Halte là ! Chance ? Il m’arrive ? Non, définitivement non.
Il n’y a là pas de chance mais des choix, pas de choses qui arrivent, mais des conséquences à des actions.
Le prix à payer, c’est de prendre le risque de s'écouter, se faire confiance et agir en fonction.
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